King Kasaï de Christophe Boltanski
Une nuit à l'Africa Museum. Qui veut ?
Sous un éclairages des plus limités, accueillant les curieux par un dédale souterrain dans une ambiance sinistre, ce musée, peinant à susciter l'adhésion de jour, achève de totalement déstabiliser la nuit. Animaux empaillés ou conservés dans du formol, armes, photos d'archives troublantes sans oublier les statues saisissantes et les reconstitutions embarrassantes... Ce musée, loin de faire rêver ou de susciter l'enthousiasme des nouveaux savoirs, fait plutôt partie de ceux qu'on aimerait éviter.
Et pour cause, au départ il s'agit d'un musée consacré à la gloire coloniale, anciennement Musée royal de l'Afrique centrale. Un musée un peu lourd à porter, qu'on a souhaité moderniser et réhabiliter un siècle après sa construction. Mais quelques rafraichissements et un nouveau nom suffisent-il à faire oublier un passé honteux ? On aimerait s'attendre à une condamnation du passé et à un hommage à l'Afrique centrale et à ses traditions ancestrales, il confronte encore cependant aux pires atrocités coloniales commises au Congo - saccages du territoire, ressources pillées, anéantissement sauvage d'un peuple - comme un rappel violent de l'avilissement de l'humanité.
On accompagne l'auteur dans sa marche inquiétante, lugubre, remuant des souvenirs nets d'une enquête passée au Congo, rapportant le lourd prix humain à payer pour extraire et acheminer le minerai indispensable aux besoins technologiques du monde occidental. Autant de flashs douloureux, résonnant parfaitement avec ce passé colonialiste, venant trouer la tranquillité trompeuse de la nuit.
Son expérience d'une nuit au musée se confond avec un récit de voyage, absolument évocateur, mené d'une main de maitre par une plume aussi intelligente que naturaliste. Avec l'acuité du reporter, Christophe Blotanski met en regard l'histoire de ce musée, son expérience au Congo et divers ouvrages pour tenter de discerner ce que l'ensemble a à nous apprendre. Pour étayer ses propos, il remonte la piste de la dynastie du chasseur mandaté par le Roi Léopold pour rapporter un éléphant à empailler, King Kasaï, dont chaque génération peut témoigner d'avoir apporté sa pièce à l’édifice colonial. Il jongle également avec les références à Tintin au Congo, directement inspiré de ce musée, et s'inspire du roman Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Ce dernier, basé solidement sur des faits autobiographiques, dénonce la sauvagerie des européens, leur cupidité et leur cruauté à travers le voyage d'un officier britannique à la recherche d'un collecteur d'ivoire disparu, sans foi ni loi, dont les méthodes inhumaines confrontent à la tragique réalité du terrain.
Un combo efficace et saisissant.
Cette nuit au musée s'apparente donc plus à un cauchemar qu'à une visite culturelle et littéraire. Hanté par les massacres commis en toute impunité, par les exactions passées, l'Africa Museum vu à travers les yeux de Christophe Boltanski glace ses visiteurs. Belphégor n'a qu'à bien se tenir !
Mettre à nu les horreurs de la colonisation, ses répercussions aujourd'hui, pour mieux les dénoncer. Dans un monde où la guerre, les sévices, les pillages de ressources sont toujours d'actualité, quelle est notre part de responsabilité ou de culpabilité ? Peut-on s'affranchir de la cruauté du monde ?
Christophe Boltanski nous offre de manière factuelle mais subtilement orchestrée un précis historique et littéraire saisissant : un récit terrifiant palliant à la partialité du musée, qui sonne comme un courrier d'excuses et comme un appel à la conscience collective. Un ouvrage choc qui donne matière à réfléchir.
Les références du livre :
Christophe BOLTANSKI, King Masai, Folio, Février 2024, 160p.
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